Risque d’une limitation drastique des téléconsultations : 2 pas en avant, 3 pas en arrière
Suite au vote de la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale, le Catel et ses membres ne peuvent rester sans réagir face aux conséquences prévisibles d’un tel amendement qui risque en effet de réduire les cas d'usages correspondant pourtant aux attentes des patients. Nous sommes clairement entrés dans la période "post-COVID 19. Alors que la pandémie a été un véritable accélérateur, il faut se garder d'adopter des mesures qui porteront un coup d'arrêt au développement du numérique en santé. Des "mésusages de la télémédecine" (tribune du CNOM) au "Far West de la téléconsultation" (citation de Mr Fatôme Directeur Général de la CNAM), le développement des pratiques de téléconsultation dans les territoires amène les acteurs institutionnels à réclamer des garde-fous pour garantir des pratiques éthiques et pérennes. On ne peut que souscrire à cette quête, mais sans pour autant céder à des mesures restrictives sans fondement. Posons calmement le cadre et développons une vision cohérente. Avec l'ouverture réglementaire des derniers mois , nous nous sommes collectivement réjouis de la confiance accordée à l'immense majorité des professionnels de santé responsables et consciencieux, souhaitant développer leurs pratiques. Désormais, la pratique à distance était théoriquement possible pour tous les patients , et laissée à la libre appréciation des soignants . Il restait toutefois à bien accompagner les professionnels de santé de nos territoires, parfois hésitants à "se lancer", et à encadrer leurs pratiques pour qu'ils puissent répondre de façon efficace aux besoins et attentes des patients. Malheureusement, depuis quelques mois, les remous dans le domaine de la téléconsultation ont soufflé des vents contraires, jusqu'au passage le 6 octobre dernier, d'un article laissant présager la fin de ces espoirs... Revenons un peu en arrière.
Un pas en avant pendant la Covid-19, des avancées majeures Les téléconsultations sont restées dans l'ombre pendant de nombreuses années. Avec la pandémie Covid 19, de nombreux patients citoyens ont bénéficié de téléconsultations avec leur médecin traitant grâce aux dérogations qui ont été accordées devant les enjeux de santé publique (décret du 9 mars 2020). Les professionnels de santé ont découvert cette pratique, souvent dans l'urgence, et du même coup, la "faisabilité" et l'intérêt de consulter leurs patients à distance dans de nombreuses situations. Les patients qui en ont pu en bénéficier s'en sont généralement réjouis, et ils ont été nombreux à tenter l'expérience pendant la pandémie, puis à continuer à consulter ponctuellement à distance. Une idée faisait petit à petit son chemin du côté des professionnels comme du côté des patients : oui, parfois, il est utile, confortable et efficace de pouvoir échanger à distance entre patient et médecin, lorsque la situation médicale le permet, pour des conseils médicaux, des prescriptions d'examen ou de médicaments permettant d'ajuster un traitement, pour évoquer une difficulté, recevoir un conseil, éviter des déplacements difficiles et coûteux. Rappelons au passage que les patients pendant la pandémie ont principalement téléconsulté leur médecin habituel, montrant bien là une forme d'attente et sans doute un besoin, qui aurait pu être satisfait bien au-delà de la pandémie. Certains patients ont aussi trouvé dans cette alternative la simple possibilité de parler avec un médecin disponible, lorsque l'accès aux soins s'avèrent difficile sur leur territoire. Faire preuve de pédagogie pour accompagner les usages Les collectifs de professionnels de santé initiés et animés par Catel ont travaillé dur depuis 3 ans pour accompagner les bonnes pratiques, au moment de la pandémie, mais aussi jusqu'à ces dernières semaines par de la formation, des recommandations, des tableaux d'indications d'usages, des fiches pédagogiques. Ils ont souvent aussi recommandé les usages de téléconsultation assistée, lorsqu'un professionnel de santé présent à ses côtés (souvent un infirmier) au moment de la téléconsultation avec un médecin distant . Cette pratique méconnue a été bien souvent recommandée dans nos travaux lorsqu’elle répond à une situation spécifique du patient, notamment pour les patients difficilement déplaçables, isolés, hospitalisés à domicile, malades chroniques (diabète, insuffisance rénale, cardiaque, respiratoire) et par exemple dans le domaine des plaies et cicatrisations,...). Depuis 2021, entre libérations réglementaires et vents contraires En novembre 2021 était voté l’Avenant 9 à la convention médicale, simplifiant les conditions d’accès à la téléconsultation et à la téléexpertise pour les patients, entré en application depuis le 1er avril 2022. Voir notre mémo sur cet Avenant 9 . Un pas en avant était franchi ! En début d'année 2022, le rapport du CNOM intitulé " Du mésusage de la télémédecine " (dernière mise à jour en février 2022) a fait débat dans la sphère des acteurs et professionnels de la e-santé ; ce document posait la question de la conformité à la déontologie médicale de «l’exercice d’une activité de téléconsultations par l’intermédiaire d’une plateforme commerciale». Ce communiqué a suscité l’inquiétude dans la communauté e-santé. Laura Baroukh, Avocate, a publié début juillet 2022 un article argumenté sur le site Village de la Justice interrogeant le bien-fondé du raisonnement sur lequel cette prise de position du CNOM s’appuyait. Cet article intitulé : "Téléconsultation, territorialité et parcours de soins : Le CNOM, les plateformes et le droit" proposait une réflexion basée sur les textes légaux et la jurisprudence. En avril 2022, la CNAM publiait des recommandations de bonnes pratiques sur la téléconsultation. Ce document avait pour intérêt de produire une mise à jour sur les éléments clés de la réglementation et une synthèse actualisée des bonnes pratiques identifiées, quelles que soient les spécialités médicales ou le statut du médecin. Simple et adapté à tous les niveaux de connaissance de la pratique, mais avait pour petit défaut de faire omission de la téléconsultation assistée, comme l'avait relevé notre article à ce sujet ! Une partie y était consacrée aux « bonnes pratiques » de l’usage des cabines de téléconsultation et aux plateformes de téléconsultation. Le document rappelle notamment les dispositions de l’Avenant 9, selon lesquelles les règles du seuil maximal d’activité de télésanté par un professionnel de santé est de 20%, insiste sur la priorité donnée à la prise en charge par un professionnel du territoire, sauf en cas d’orientation par le service d’accès aux soins (SAS). Les plateformes de téléconsultation qui salarient des médecins, et les fournisseurs de cabines de téléconsultation semblent désormais dans le viseur. Fin septembre 2022, le débat public s'enflamme autour d'une punchline de Thomas Fâtome , Directeur Général de la CNAM, qui a déclaré sur TF1 qu'il fallait « fixer les nouvelles règles du jeu et avoir un vrai statut des offreurs de téléconsultation, avec des exigences, pour mettre fin au Far West des téléconsultations » . Nous avons fait écho à ce sujet du statut des plateformes de téléconsultation, lors de notre événement Catel Paris , par la voix de Jean-Pascal PIERME, Président du LET (Les Entreprises de Télémédecine). Celui-ci a en effet confirmé l'intérêt de réguler les pratiques de ces plateformes, mais a aussi rappeler l'importance de continuer à tenir compte du fait que la téléconsultation répond à des besoins de santé publique et aux attentes des patients qui continuent à en faire usage. Malheureusement, comme toute punchline, le terme "Far West des téléconsultations" a marqué les esprits, et sans doute fait peur aux professionnels de santé les moins sensibilisés aux atouts de ces pratiques ainsi qu'à nombre de députés. Dès début octobre, des décisions ont été prises pour mettre fin au remboursement intégral des téléconsultations et empêcher dans la foulée le remboursement des prescriptions d'arrêts de travail en téléconsultation, avec pour date d’entrée en vigueur le 1er octobre. Sur cette question, on peut pourtant imaginer qu'une simple limitation de la possibilité de prescrire les arrêts de travail par un médecin connaissant l’historique médical du patient aurait pu être suffisant, celui-ci étant selon la loi capable d’estimer s’il souhaite ou non consulter son patient en présentiel pour décider de l’arrêt. Ou encore, la prescription de l’arrêt de travail hors médecin traitant aurait pu être limitée à quelques jours, à charge au patient de consulter son médecin traitant ensuite (à condition d’en avoir un !). Janvier 2023 : Risque fort de 3 pas en arrière avec la fin des téléconsultations ? Le 6 octobre dernier, lors de Catel Paris, comme dans l’ensemble de nos travaux pluridisciplinaires, nous avons entendu les témoignages de professionnels de santé formés et responsables, experts en matière de télésanté, portes paroles de leurs pairs, qui réfléchissent depuis longtemps aux atouts et aux limites des usages à distance, et agissent pour accompagner le développement d'usages éthiques et efficaces. Lors de sa prise de parole sur la session officielle de fin de matinée, Jacques Lucas, ancien premier vice-président et délégué général au Numérique du Conseil National de l’Ordre des Médecins, et désormais Président de l'ANS, a rappelé que "Les patients sont attachés à des valeurs éthiques. Le Comité National d’Ethique a dit dans un avis qu’il serait non éthique de ne pas proposer des moyens numériques dans la prise en charge des patients, si l’on considère le rapport entre le service apporté, et les risques encourus." Le texte voté en commission des Affaires Sociales occulte cette position du Comité National d’Ethique puisqu’il impose que les téléconsultations soient désormais systématiquement assistées, arguant du fait que c'est ce que veulent les patients, et précise qu’il faudra désormais qu'elles soient réalisées par le biais de "maisons de santé pluridisciplinaires, d’officines ou de collectivités" afin de "garantir un meilleur encadrement de cette pratique Un amendement qui se trompe d’objectif
Si nous savons tout l'intérêt de la téléconsultation assistée à bien des égards, nous savons aussi qu'elle ne convient pas à toutes les situations d'usages possibles de la téléconsultation entre un patient et son médecin. Luc Téot, Président du Catel et de la SFFPC, fervent défenseur de la téléconsultation assistée dans le domaine des plaies et cicatrisations a ainsi déclaré : « Je pratique au quotidien le mode de téléconsultation assistée dans Domoplaies mais exclusivement sur des patients âgés, présentant des situations cliniques complexes associant plusieurs comorbidités. La présence d'un paramédical auprès du patient permet de faire une téléconsultation assistée, bien adaptée à cette situation particulière. Faut-il pour autant supprimer la téléconsultation simple de suivi entre le patient et son médecin traitant lorsque celui-ci connait son dossier depuis longtemps. A mon avis non. Peut-on proposer des garde fous concernant les primo-téléconsultations directes ? Catel pourrait aider à définir ces situations, certainement mieux que la liste actuellement proposée. » Les députés favorables à cet amendement ont sans doute cédé aux sirènes du Far West en bridant les possibilités offertes aux citoyens et à leurs soignants par un bon usage de la téléconsultation . Or si cet amendement est retenu en l’état lors du vote du PLFSS 2023, les usages suivants seront alors « hors la loi » : - Plus de téléconsultation avec votre médecin généralis te hors CPTS ; - Plus de téléconsultation avec votre spécialiste (ni avec votre diabétologue qui vous connaît depuis des années, ni avec votre gynécologue pour une prescription d’analyses ou d’examens…) ! - Plus de téléconsultation avec votre psychiatre en mobilité (sauf si vous acceptez de lui parler en présence d'un autre professionnel de santé, et qu’il travaille en CPTS !), - Enfin, plus de téléconsultation quand votre médecin traitant n’est pas disponible ou que vous n’avez pas de médecin traitant ! Ce texte condamne en réalité des usages naissants, à un moment où les professionnels auraient au contraire dû être formés pour mieux répondre aux attentes de leurs patients. C'est d'ailleurs ce qui est prévu dans le référentiel socle et transversal de compétences au numérique . La téléconsultation ouvre pourtant une alternative diagnostique et thérapeutique au patient dans le cadre de son contexte de maladie et/ou de fragilité. L’important est de faire confiance et d’encadrer la pratique des professionnels de santé pour les aider à offrir une palette la plus large pour un meilleur rapport bénéfice/risque. La proposition des députés va parfaitement dans le sens inverse ; imposer une solution unique à tous, et donc interdire ses bénéfices à de nombreux patients. Les associations d'usagers n’ont d’ailleurs pas tardé à « s’indigner » sur « la menace que fait peser le PLFSS 2023 sur la téléconsultation et l’accès aux soins » au travers de cette tribune de France Asso Santé . Nous souhaitons enfin citer ici cet extrait d'article publié par l'Usine Digitale : “En imposant la présence d'un professionnel de santé à côté du patient, les oppositions réunies veulent perpétuer les déserts médicaux et mettent en péril la santé des Français”, a fustigé sur Twitter le ministre délégué au Numérique, Jean-Noël Barrot. »
Le Catel et ses membres se tiennent mobilisés pour faire entendre une voix raisonnée et éclairée par des constats et des pratiques du terrain, pour ne pas connaître un arrêt brutal du développement des bons usages de téléconsultation MAJ : cet amendement n'a finalement pas été retenu dans la Loi de Santé 2023. Pour aller plus loin : Si vous souhaitez réagir et/ou agir collectivement sur ce sujet : contactez catel par mail à contact@catel.pro